Pourquoi nous devons tous devenir Batman

Vous n’êtes pas encore devenu Batman ? C’est la preuve que vous n’avez rien compris à son personnage. Mais rassurez-vous, tout le monde peut faire des erreurs, je vais me faire un plaisir de vous expliquer toute les bonnes raisons pour lesquelles il est impératif que nous devenions tous Batman.

Cependant, avant d’entrer dans le vif du sujet, un petit détour historique s’impose pour comprendre la genèse du plus célèbre des super-héros.

 

La naissance d’un mythe

“It took them a while to catch on that Batman would be the greatest.”

Bob Kane

Le personnage fait pour la première fois son apparition dans le titre Detective Comics en 1939. Bien qu’il ait évolué par la suite, Batman a déjà les principales caractéristiques qu’on lui connaît : c’est un justicier humain qui combat le crime dans un costume de chauve-souris. Son succès est immédiat, et dès 1940, il a droit à son propre titre.

75 ans plus tard, il est devenu le super-héros le plus populaire de l’humanité, et l’ombre de sa cape s’étend sur 7 adaptations cinématographiques et près d’une trentaine de titres de comics, sans parler des innombrables déclinaisons qu’il a connu en séries ou jeux vidéo.

Pourtant, le Monde a énormément évolué depuis sa création, et on peut donc se demander comment, en dépit des différences générationnelles et culturelles, Batman continue à exercer une fascination aussi profonde sur la psyché collective.

Il me semble impossible de répondre à cette question sans prendre en compte la dimension mythologique du personnage. Le mythe, en effet, joue un rôle fondamental dans lecture qu’une civilisation fait de la réalité. Son rôle principal est de répondre aux questions à laquelle la rationalité seule ne peut pas apporter de réponse telles que : quel est le sens de l’existence ? Qu’est-ce que la liberté ? Quelle est l’origine du mal ? En mettant en scène des dieux, des démons et des héros en proie à des intrigues d’ampleur cosmique, le mythe se présente comme une fable qui n’explique pas le Monde, mais nous le fait ressentir à travers un récit initiatique.

Mais par-dessus tout, le rôle du mythe est de transformer le puzzle éclaté de la réalité dans une figure cohérente : c’est une représentation globale qui peut révéler à une époque les forces qui la sous-tendent. La culture pop, en ce sens, est un extraordinaire révélateur de notre inconscient, et les héros auxquels nous choisissons de nous identifier un prisme par lequel se manifestent nos rêves, nos peurs et nos potentialités à un instant donné de notre évolution.

Ainsi, le vingtième siècle s’est traduit par une destruction de la famille étendue qui, réduite à la cellule monoparentale, a laissé derrière elle des générations d’enfants affectivement invalides ; la société de consommation a enfermé les êtres humains dans une prison de besoins artificiels et les maintient dans un état de contradiction permanent ; les inégalités économiques et sociales plongent chaque jour des millions d’individus dans le désespoir ;  la science a dépouillé l’homme de sa connexion au spirituel ; la ville est devenu une prison hostile qui a répandu son béton jusqu’à fermer tout l’horizon.

Cette série de manques dessine pour ainsi dire en creux le personnage de Batman : c’est un orphelin, mais qui a surmonté son traumatisme par un effort de volonté constant ; il est milliardaire, mais sa discipline sans faille lui permet de surmonter la tentation d’abuser de son argent ; il combat inlassablement le crime et l’injustice, mais avec des moyens humains ; enfin, il s’est rendu maître de la jungle urbaine.

Il fait en outre la synthèse d’un certain nombre d’archétypes de héros tels que Zorro, Sherlock Holmes ou par la suite James Bond qu’il préfigure avec plus de dix ans d’avance.

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L’initiation

“But a criminal is not complicated. What you really fear is inside yourself. You fear your own power. You fear your anger, the drive to do great or terrible things.”

Henri Ducard to Bruce Wayne, Batman Begins

Batman fonctionne donc comme un mythe qui répond aux codes de l’ère moderne. C’est un être humain auquel n’importe qui peut s’identifier, et qui défend des valeurs de justice qui résonnent avec nos aspirations collectives.

Ce point est essentiel dans la compréhension de ce qu’il représente. Il est facile, en effet, de tomber dans une lecture réductrice du personnage. Après tout, Bruce Wayne est un riche héritier, et le fait qu’il soit présenté comme un modèle positif peut être considéré comme la promotion déguisée d’un idéal capitaliste.

Cependant, la principale force du personnage est précisément que, pour s’accomplir comme Batman, il passe par une série d’initiations qui l’amènent à renoncer à tous ses attachements terrestres pour affronter ses ombres intérieures. Ce point est très bien mis en valeur dans Batman Begins lorsque Bruce Wayne se confronte à un parrain local de la mafia. Ce dernier lui répond qu’il n’a pas peur de lui car il n’est qu’un gosse de riche traumatisé, ce qui déclenche chez Bruce Wayne une prise de conscience décisive. Comprenant pour la première fois que sa fortune représente une fausse sécurité qui l’enferme dans une existence truquée, il sort dans la rue, se débarrasse de ses papiers et échange son luxueux manteau contre celui d’un clochard avant de disparaître dans la nuit, entamant une longue quête de 7 ans pour apprendre à se connaître lui-même.

Or, son initiation va, au bout du compte, porter sur un seul thème : la peur. Comment arriver à surmonter sa peur ? A en faire une alliée pour servir la justice ?

C’est, à mon sens, le véritable fil rouge qui relie le mythe de Batman à ce que nous vivons de plus profond dans notre existence quotidienne. En effet, la société de consommation nous alimente constamment de dérivatifs qui nous dispensent de tourner notre attention vers nous-mêmes pour affronter nos peurs. Peur de la souffrance. Peur de la vieillesse. Peur de la perte. Peur de la mort.

Et le pendant de ce refus d’affronter nos peurs, c’est que nous n’accomplissons rien d’essentiel dans notre vie, passant à côté de ce que nous portons en nous de plus important.

Pourtant, nous sentons en nous-mêmes que chaque sécurité supplémentaire dont nous nous entourons dans notre existence nous réduit. Et que, à l’inverse, si nous trouvions en nous la force de dépasser nos peurs pour nous dresser contre l’injustice, il se passerait quelque chose d’extraordinaire.

De ce point de vue, ce qu’illustre véritablement la saga de Batman, c’est que ce qui nous détermine n’est pas notre classe sociale, mais nos décisions. La vérité est un Graal : pour être obtenue, elle suppose que nous affrontions le désespoir et le doute. Elle suppose de renoncer à tous nos attachements pour nous concentrer uniquement sur l’accomplissement d’un idéal qui est plus grand que nous-mêmes.

En cela, ce qu’il faut d’abord retenir de Batman est que la seule réponse possible en face de la peur est de se battre pour conquérir chaque pouce de terrain en nous-mêmes en y appliquant inlassablement notre cœur et notre volonté.

C’est la leçon essentielle que porte le personnage, et c’est pourquoi il faut que, à son image, nous trouvions le moyen de transformer notre peur dans une force positive. C’est la seule issue possible pour sortir de la paralysie collective dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

 

[i]Le premier épisode de Batman met en scène le meurtre des parents de Bruce Wayne à la sortie d’une salle de cinéma ou ils viennent de voir le film La vengeance de Zorro. Les créateurs de Batman, Bob Kane et Bill Finger, en font une source d’inspiration explicite, et le personnage de Batman reprendra ainsi les principales caractéristiques du justicier espagnol : costume et monture noire, idéal de justice, utilisation exclusive d’armes blanches pour combattre les criminels, etc.

[ii]Batman est avant tout un détective qui analyse minutieusement chaque détail pour arriver à la vérité. Il est donc également inspiré du célèbre enquêteur britannique, dont il partage l’esprit analytique et le caractère introverti et solitaire.