Faire de la France la première communauté apprenante d’Europe

Cet article est partiellement tiré de l’ouvrage Innovations RH, éditions Dunod

L’employabilité est plus importante que le PIB

Selon vous, quel est l’indicateur-clé qui permette à coup sûr de déterminer la place d’un pays dans l’économie mondiale en 2025 ?

Diriez-vous que c’est son PIB ? Sa production industrielle ? Son niveau de dette ?

Pour ma part, je répondrais que c’est avant tout notre capacité à sortir de notre zone de confort pour accomplir notre potentiel humain.

Cette formulation vous fera sans doute sourire pas son caractère naïf, bien éloigné des dures réalités du monde économique, où la performance prime sur les aspirations nées de l’esprit idéaliste des philosophes.

A ceci près que nous vivons justement ce moment où une certaine forme d’idéalisme humaniste va devenir le premier facteur de développement de la performance, que ce soit à l’échelle des entreprises ou des nations elles-mêmes.

A l’ère industrielle, en effet, la durée d’un savoir se mesurait en décennies. Aujourd’hui, l’accélération provoquée par les technologies de l’information fait que les connaissances que les étudiants acquièrent à l’école ne sont déjà plus valide au moment où ils obtiennent leur diplôme. Cette volatilité des savoirs redéfinit complétement le rôle l’apprentissage dans nos vies. Apprendre tout au long de sa vie — voire quotidiennement — devient un impératif.

Mais ce n’est pas tout : la nature même des compétences nécessaires dans le monde du travail est en train de changer complètement :

Durant toute l’époque industrielle, les compétences-clés consistaient à savoir obéir aux règles et à la hiérarchie et appliquer consciencieusement des connaissances techniques. A l’ère de la société de l’information, ces compétences sont toujours nécessaires, mais elles ne constituent plus la base de l’excellence. Il est désormais indispensable de pouvoir construire un raisonnement tout en mettant en cause la fiabilité des informations disponibles, de savoir se montrer créatif, de travailler en équipe, de communiquer clairement. Face à la vélocité et à la variabilité de l’information, il faut savoir s’adapter, prendre des initiatives et produire un résultat inattendu, tant sur le fond que sur la forme.

Ce sont donc avant tout les compétences dites cognitives (communication, créativité, collaboration, pensée critique…) et digitales qui vont permettre de naviguer dans un monde professionnel où chacun sera amené à exercer de plus en plus d’activités. Aujourd’hui, une classification fait consensus, à tel point qu’elle a été retenue par l’OCDE pour créer son nouveau référentiel d’évaluation des étudiants :

L’indicateur qui traduit cette capacité à apprendre est l’employabilité. Selon le Ministère du travail, l’employabilité consiste dans « la capacité d’évoluer de façon autonome à l’intérieur du marché du travail, de façon à réaliser, de manière durable, par l’emploi, le potentiel qu’on a en soi. »

Cette formulation, bien que claire, me sembler occulter la portée de la révolution humaine en cours, qui touche à une dimension qui est aussi celle du sens. C’est pourquoi je préfère définir l’employabilité par la capacité à identifier en soi les germes humains les plus fertiles et prendre en main son propre développement pour s’assurer qu’ils grandissent autant que possible dans ce passage fugace qu’est notre existence.

La France, belle endormie de l’Europe

Ce basculement du « savoir-faire » vers le « savoir-être » modélisé par les référentiels scientifiques comme celui de l’OCDE ne font jamais que paraphraser Montaigne qui disait déjà qu’il préférait « une tête bien faite à une tête bien pleine ».

Favoriser les têtes bien faites est précisément le défi que nous allons devoir relever à présent. Sous Macron, la France va investir 15 milliards de plus dans la formation continue entre 2017 et 2022. En soi, cet effort est louable. Cependant, la quasi-totalité de cet argent va être investi dans un système de formation qui :

  • N’a que très peu évolué depuis des décennies
  • Est en retard d’une révolution digitale
  • Fonctionne de façon opaque
  • Est quasi exclusivement centré sur l’apprentissage de compétences techniques
  • Repose sur un modèle d’enseignement qui est aujourd’hui à bout de souffle

Pour ma part, je suis persuadé que la bataille pour l’emploi ne se gagnera pas à coup de plan de formations nationaux, car ces derniers ne traitent que des symptômes.

En revanche, la bataille pour l’emploi peut être gagnée à travers celle de l’employabilité. L’enjeu est donc de savoir comment généraliser des approches innovantes qui permettront de passer d’une formation fonctionnant en stock, c’est-à-dire comme quelque chose de figé et de quantifiable centré sur les compétences techniques, à une logique de flux, c’est-à-dire un processus continu centré sur le savoir-être où chacun se développe en permanence.

Cet impératif n’est pas seulement une question individuelle. Face aux mutations du monde du travail et à des carrières de moins en moins linéaires, les choix qui seront faits aujourd’hui dans les politiques de formation vont déterminer la place de la France au sein de l’économie mondiale dans les décennies à venir.

De ce point de vue, le principal danger que court la France dans les 5 ans à venir est de vivre une obsolescence massive des compétences qui produira structurellement un volume important d’individus peu employables et enclins à se transformer en chômeurs de longue durée.

Où trouver la solution ? Plusieurs pays montrent aujourd’hui la voie d’une transition réussie de leur système de formation. Cependant, le French Paradox déploie une nouvelle fois ici toute sa saveur, car l’un des pays au Monde qui produit aujourd’hui les innovations les plus inspirantes dans ce secteur est… la France !

C’est en effet la France qui concentre les innovations les plus remarquables sur le plan mondial avec un écosystème de plus 400 startups de l’innovation RH (Lab RH) dont près de 100 dans le secteur de l’apprentissage. C’est aussi la France qui comporte les écoles les plus innovantes au monde (parmi elles : l’Ecole 42, le Centre de Recherche Interdisciplinaire…). C’est des initiatives innovantes portées par Pôle emploi (La Bonne Formation qui permet d’évaluer la qualité des formations) et plus de 50 écoles alternatives qui s’ouvrent chaque année.

Tout se passe ainsi comme si la normalisation et le conservatisme du système français provoquait une réaction sous forme d’un bouillonnement continu d’innovation dans le secteur de l’éducation et de la formation.

Tout le problème est que ces innovations échouent, pour l’instant, à se généraliser en passant à une échelle industrielle…

5 propositions pour allumer un feu dans l’âme des individus

Montaigne disait que pour lui, l’éducation n’était pas « un vase qu’on remplit, mais un feu qu’on allume ». Il ajoutait qu’il aimait mieux « forger son âme que de la meubler ».

C’est le véritable objectif que doit désormais se donner la formation. Voici donc cinq propositions concrètes pour aller dans ce sens :

  1. Passer à la pédagogie inversée : le système actuel repose sur la transmission d’une connaissance théorique par des sachants. Il est intrinsèquement destructeur de confiance en soi car il fait en permanence sentir à chacun ses manques plutôt que ses forces. La pédagogie inversée consiste à construire la connaissance en partant des intérêts et des connaissances déjà existantes chez chacun. Il repose sur l’accomplissement de projets concrets et inspirants, qui réveillent le désir d’apprendre et le sens de l’autonomie.
  2. Identifier les expériences qui réveillent le feu intérieur : puisque l’avenir appartient au savoir-être, il s’agit d’identifier toutes les expériences qui contribuent à le développer : codéveloppement, immersions, challenges, entrepreneuriat, parcours initiatiques, etc.
  3. Créer des communautés apprenantes : il faut ensuite mutualiser ces expériences qui contribuent à la transformation personnelle et constituer des communautés apprenantes où les individus pourront collectivement les vivre et travailler au développement de leur courage, de leur créativité, de leur sens collaboratif, etc.
  4. Evaluer l’impact ces nouveaux parcours d’apprentissage sur l’employabilité : ces nouveaux modes d’apprentissage doivent être modélisés afin de restructurer le système de financement et favoriser les formations et plus globalement les environnements générateurs d’employabilité
  5. Rapprocher l’offre et la demande d’emploi sur la base du savoir-être : puisque les qualités humaines sont l’avenir du monde professionnel, il faut proposer des outils d’évaluation des candidatures qui valorisent cette dimension.

Jusqu’ici, s’occuper de son développement personnel était perçu comme un sujet extérieur au monde de l’entreprise. Cette dernière était un « environnement sérieux » où chacun devait remplir sa tâche spécialisée. Demain, l’avenir appartiendra aux entreprises qui auront compris que donner du temps pour assurer le développement humain des collaborateurs est la meilleure garantie de performance. Que l’on soit dirigeant, manager ou collaborateur, travailler signifiera toujours plus : travailler sur soi.